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Le Rap engagé face à la marchandisation de la musique

Par Empathik, décembre 2010.


Empathik est cité au sein d'une publication de Béatrice Mabilon-Bonfils, Sociologue et Professeure à l’Université de Cergy- Pontoise/IUFM de Versailles, directrice du laboratoire EMA (Ecole, mutations, apprentissage). L'occasion de s'interroger sur l'avenir du Rap français et de son engagement en termes de revendications sociales, confronté à une marchandisation à outrance du monde de la musique.

Spécialiste de sociologie de l’éducation et de sociologie de la musique, Béatrice Mabilon-Bonfils a publié de nombreux ouvrages dont Sociologie Politique de l'Ecole, (avec L. Saadoun, PUF, 2001), La musique techno, ère du vide ou socialité alternative? (avec A. Pouilly, L’Harmattan, 2002), L’invention de la violence scolaire (Eres, 2008). Au sein de son texte intitulé "Le(s) public(s) d’un artiste de variétés engagé, Bernard Lavilliers, à l’ère de la post-modernité" (Revista Proa, N°02, vol.01, 2010), Mabilon-Bonfils propose une interprétation intéressante des effets de la marchandisation de la musique sur l'engagement politique des artistes.

Dommage que l'auteure n'ait pas pris connaissance du fait qu'Empathik n'a jamais commercialisé sa musique. Une position radicale et atypique dans le champ artistique qui aurait pu offrir à la problématique posée une autre perspective interprétative.

L'artiste comme médiateur de messages politiques

« Dans la tradition intellectuelle française, la chanson sociale engagée fut longtemps contre-pouvoir. Avec les mutations de la production artistique, la chanson moderne est engagée dans un processus économique-industriel-techniquecommercial. La tradition française de la chanson engagée a-t-elle disparu avec les nouveaux média? La marchandisation de la chanson s’est-elle traduite par un déclin de la fonction politique de l’artiste? » (p. 1)

DOSSIER : Le(s) public(s) d’un artiste de variétés engagé, Bernard Lavilliers, à l’ère de la post-modernité (PDF)

L'auteure s'interroge « sur la réception sociale des chansons d’un artiste engagé », en proposant notamment de « comprendre la fonction symbolique de l'artiste comme médiateur de messages politiques, son rôle imaginaire, sa place symbolique, pour saisir la musique comme fait social » (p. 1).

Quelle est donc la définition traditionnelle accordée à l'artiste militant? « Dans notre tradition intellectuelle, l'artiste engagé représente dans notre histoire politique, culturelle et scientifique celui qui prend le risque de la réflexion, du débat, qui s'autorise à un droit de parole, témoignant d'un cheminement personnel au service d'une vérité à construire. La musique en est un vecteur privilégié. Elle constitue dans sa diversité, un ensemble référents qui servent de repères aux membres d’une société ou d’un groupe social donné, parce qu’elle combine à la fois des modalités identificatoires - qui dépassent le dit et l’activité réflexive -, des réservoirs symboliques de sensations ponctués par la rythmique et la mélodie, un acte performatif par excellence.
En effet, la chanson fut l’un des principaux médias du peuple, véritable chronique et "commentaire permanent à l’existence sous toutes ses formes" selon l’expression de Boris Vian. En un temps où tout se chantait, elle scandait les convulsions de l’histoire, donnait forme aux sentiments populaires, aux révoltes, et portait la parole populaire sur la place publique. »
(p.3 et 7)

Ainsi, l'auteure entend par "artiste engagé" un individu traditionnellement enclin à une prise de risques, sorte de relais voire de média du peuple portant sur la place publique les maux des plus faibles. N'est-ce pas la base même du mouvement Hip hop ?

« Dans la musique de variétés contemporaine, depuis le début des années 80, le genre «musique engagée» est donc devenu marginal, même si on assiste à un renouveau de la chanson militante avec d’une part des revendications altermondialistes portées par des artistes comme Manu Chao, Noir désir ou Zebda et avec d’autre part des revendications sociales portées par les rappeurs avec le développement du rap, genre qui se caractérise par son engagement politique et sa conscience citoyenne, avec des artistes comme Diams, IAM, Keny, Arkana, Casey, Empathik, Kabal...» (page 7).

Le Rap engagé confronté à la marchandisation du mouvement Hip hop

« La tradition française de la chanson engagée a-t-elle disparu avec les nouveaux médias? La marchandisation de la chanson s’est-elle traduite par un déclin de la fonction politique de l’artiste? Déjà, de la chanson sociale ou révolutionnaire à la chanson réaliste, il y eut un déplacement des thématiques populaires: de la sphère de l’action politique vers la sphère esthétique et vers l’espace imaginaire de la scène. Mais chaque époque a son style musical et avec la post-modernité et la nouvelle scène française, le déclin amorcé de l’engagement des artistes se poursuit. » (p.7)

En transposant les analyses de l'auteure au Rap français, nous pourrions dire que la marchandisation met à mal la spontanéité du discours engagé qui se trouve confrontée à de nouveaux "obstacles", comme ce que les artistes Hip hop nomment "l'industrie du disque". Déranger les élites par une revendication sociale, c'est se fermer la porte des maisons de disques, des médias, et donc de tout moyen de diffusion (concerts compris car nécessitant une "autorisation" administrative). Pourtant, l'ère moderne que traverse le monde de la musique au sens large, tout en imposant un système marchand à l'ensemble des oeuvres artistiques, a produit quelque chose d'autre : Internet.

Or, pour qui cherche à retrouver la spontanéité du discours engagé, caractéristique de l'époque traditionnelle à laquelle l'auteure fait référence, le Rap français possède Internet comme outil principal. Reste à savoir si l'on désire vraiment tirer un trait sur l'argent afin de diffuser une prise de conscience collective.